«…ne nous embêtez pas trop sur les droits de l’Homme et on avance sur les sujets où on peut avancer», ont prévenu les experts turcs réunis avec les experts européens.
Le 6 avril, après leurs réunions avec le Président Erdogan, les dirigeants bruxellois ont évoqué les droits de l’Homme auprès des journalistes. En apparence, c’est pour eux un point «non négociable».( lundi 5 avril, 10 anciens amiraux ont été arrêtés pour avoir critiqué un projet d’Erdogan de construction d’un canal).
La visite de la présidente de la Commission européenne et du Président du Conseil européen était symbolique : montrer que les Européens ont toujours la volonté d’avancer sur des projets “win-win” avec la Turquie d’Erdogan.
Sur la question des migrants, dossier extrêmement tendu s’il en est, l’accord signé en 2016 avec l’Europe et par lequel les autorités turques s’engagent à bloquer les flux migratoires vers la Grèce, en contrepartie d’une aide financière de six milliards d’euros, sera prolongé.
«L’UE met en scène le spectacle de sa faiblesse par rapport à la Turquie. C’est [son] impuissance à maîtriser ses frontières qui produit cette faiblesse sidérante», s’est indigné l’eurodéputé François-Xavier Bellamy dans les colonnes du Monde. Pour lui, «l’Europe fait une lecture erronée de la situation actuelle: la Turquie est fragilisée, et l’UE a des leviers à sa disposition pour poser ses exigences.»
En 2016, les six milliards d’euros alloué à la gestion des migrants allaient au «EU Facility for Refugees in Turkey», une structure de cogérance des fonds qui permettait à Bruxelles d’avoir l’assurance que la manne européenne était effectivement attribuée à l’aide aux migrants. Désormais, le dirigeant turc veut simplement recevoir l’argent et que Bruxelles lui fasse confiance.
Une position qu’il se permet d’avoir, car Ankara est revenu dans les bonnes grâces de Bruxelles. En effet, les navires de prospection gazière qui avaient semé la discorde avec la Grèce à l’été 2020 sont rentrés au port et les pourparlers turco-grecs interrompus en 2016 ont repris leur cours. Le chef d’État turc a même adopté une position conciliante envers la Grèce et Chypre.
Les questions du chantage aux migrants, des agressions navales en méditerranée orientale et des mercenaires envoyés en Libye en Syrie et dans le Haut-Karabakh (Artsakh pour les Arméniens), ne sont plus un frein pour Bruxelles, qui souhaite donc avancer dans ses relations avec Ankara. L’UE est tétanisée à l’idée qu’Erdogan ouvre les vannes des réfugiés, alors que l’accord de 2016 arrive à son terme.
Le service secret turc (MIT) et une galaxie d’ONG, de fondations (Maarif), des communautés religieuses (Milli Gorus), de bandes nationalistes (Loups gris, Germania Osmanen) agissent presque librement en Europe sous la direction d’Ankara.
«La Commission européenne possède toutes ces informations, mais la doctrine “business et immigrants” domine la politique de Bruxelles».
Et Constantin Pikramenos de rappeler que le Conseil européen de mars 2021 avait décidé de ne pas sanctionner la Turquie. Pour l’heure, Bruxelles semble satisfait de l’apparente baisse des tensions en Méditerranée orientale, et repousse un «réexamen des progrès réalisés» à la fin du mois de juin prochain.
Une position qui semble tout à fait convenir à Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci peut continuer d’avancer ses pions un trimestre de plus, en sachant pertinemment qu’il aura toujours sous la main, dans trois mois, son infaillible levier de négociation: les migrants.
sources : “MIT – Le service secret turc” (VA Éditions, 2021)